Le pouvoir algérien est-il contraint à la réforme ? Pourquoi, alors que la «crise n'existe pas», selon le Premier ministre, engagerait-il une réforme ? Pourquoi un pouvoir de l'ombre
accepterait-il d'aller à la visibilité, à la correspondance absolue entre pouvoir légal et pouvoir réel ?
Ces questions, que des Algériens et des observateurs étrangers n'ont cessé de poser depuis des décennies, sont-elles encore de mise ?
Abdelhamid Mehri, dans un entretien à La Nation, de retour sous forme électronique après plus de quinze ans de silence, estime que ce n'est plus le cas. Pourquoi ? Parce que le régime a atteint
ses limites absolues. Il n'est plus viable, alors que la demande de changement est présente dans la société. La réforme n'est plus une option facultative que l'on peut prendre ou non. Son
exigence est pressante. Le choix n'est pas entre réforme ou non, mais entre une réforme négociée avec l'ensemble des acteurs de la société et une réforme qui sera inéluctablement imposée par le
mouvement de la société et les forces qui demandent le changement.
On peut y ajouter un environnement international qui n'est pas figé et où des options qui semblaient impensables sont désormais mises en œuvre, comme en Libye.
Il est remarquable d'ailleurs de noter cette capacité d'adaptation d'un Occident qui continue, sur le fond, de considérer que la démocratie dans le monde arabe est source de complication et
qu'elle est in fine indésirable.
Dans un tel contexte mouvant, continuer à entretenir la fiction du multipartisme formel et de la démocratie de façade est grandement dommageable. Et ce risque est présent. La tentation de
substituer des aménagements de textes à un débat national devant aboutir à un consensus politique pour un changement de régime, est évidente. En réalité, la contre-réforme enœuvre depuis les
années 90 a atteint une sorte d'accomplissement suicidaire, avec une dépolitisation générale qui fait le lit au pire.
Que l'Otan puisse paraître pour des Libyens et pour une partie des Algériens aussi comme un « libérateur» montre l'ampleur des dégâts occasionnés par un travail systématique de dépolitisation
et d'étouffement des alternatives. Les changements, qui auraient pu être aussi naturels que le passage des générations, se font dans les douleurs et la casse. En Egypte et en Tunisie, là où les
choses se sont le mieux passées, les transitions sont incertaines.
L'ancien secrétaire général du FLN constate que la«désertification du champ politique a été pleinement réussie par les régimes en Algérie et ailleurs
». Aujourd'hui, après deux décennies de
bannissement de la politique et de décorum démocratique sans contenu, on a créé le dégoût de la politique, sans pour autant réduire la colère. Dans nos sociétés privées «d'apprentissage
politique»,on a un mécontentement «diminué de l'expérience politique, plus dangereux pour le pays
».
Ces constats sont d'une grande justesse. Et ils commandent de ne pas rater la réforme et de ne pas la diluer dans des révisions textuelles. Quand il s'agit de construire la «maison commune », il
ne faut pas tricher dans la mise en place des fondations. L'Algérie est un pays géologiquement sismique. Il l'est aussi politiquement.